L'Irrigation du Littoral Ouest
Découverte > Économie > L'Irrigation du Littoral Ouest
Le basculement des eaux est le petit nom donné à l'irrigation du littoral ouest, un projet comprenant un aqueduc remarquable qui traverse l'île de la Réunion d'est en ouest, mais aussi toutes les canalisations apportant l'eau sur les terres cultivées en canne-à sucre de l'ouest depuis le Port jusqu'à Saint Leu.
La Réunion est une île tropicale. L'île au vent, à l'est de l'île reçoit beaucoup plus de précipitations que l'île sous le vent à l'ouest. Par contre, les terres de l'ouest reçoivent plus de soleil et sont donc plus prometteuses du point de vue agricole, Seulement, le manque d'eau en fait une zone de savane, sèche et aride.
Cascade de Grand Bassin. Photo: Twinlions
Considérant que les hauteurs de l'île au vent reçoivent assez d'eau de part sa pluviométrie tropicale, l'idée de capter cette eau pour l'apporter sur les terres agricoles de l'ouest a fait son chemin.
Historique
Le projet répond à un besoin identifié depuis des siècles d'irriguer des terres sèches, mais facilement cultivables parce que recevant beaucoup de soleil. Les colons ont déjà construit des moulins et des aqueducs à cet effet depuis les XVIIIe et XIXe siècles pour irriguer les champs de canne à sucre.
Aqueduc Chabrier traversant la ravine du Gol à Saint-Louis destinée à alimenter la sucrerie du Gol (lithographie d’Hastrel, 1836).
Plusieurs canaux sont creusés notamment à Saint-Gilles pour irriguer des domaines privés agricoles. Mais avec l'avènement de l'électricité, on pense à refouler les eaux sans que des projets concrets ne voient le jour avant les années 80. Le plan d'irrigation du littoral ouest est porté par le département de la Réunion et le ministère de l'Agriculture en 1983.
Après plusieurs années d'étude de faisabilité et d'impact, il a été retenu d'alimenter ces terres par des captages réalisés dans les cirques de Salazie et de Mafate pour irriguer une vaste zone allant du Port à Saint-Leu. À partir de Saint-Leu, l'irrigation est assurée par un autre projet, le captage des eaux de la rivière Saint-Étienne appelé bras de Cilaos. Moins spectaculaire, il est en service depuis 1985. Le projet Irrigation du Littoral Ouest (ILO) est le plus grand projet d'irrigation de l'île et de par la distance de captage des eaux, il est le plus spectaculaire et le plus coûteux. C'est aussi celui qui aura pris le plus de temps de construction.
Carte de l'Irrigation du Littoral Ouest par Oriunga Kessel.
Les travaux ont commencé en 1989 et se sont prolongés jusqu'en 2014 même si certaines zones d'irrigation prévues au projet, restent à couvrir. Ils ont été financés par le département et la région avec le soutien de l'État et de l'Union européenne. En 25 ans, les travaux se sont déroulés en plusieurs phases, mais on peut considérer deux grandes parties : La zone amont avec le captage de l'eau dans les cirques et son acheminement par gravité par des galeries creusées dans la montagne, et la zone aval depuis le réservoir de stockage de Mon repos et toutes les canalisations de distributions.
Irrigation de la zone ouest
La partie aval est un projet d'irrigation classique avec adduction et distribution de l'eau dans les territoires agricoles, si ce n'est la surface des zones irriguées. Le périmètre s'étend de Saint-Paul à Saint-Leu le long de la côte et jusqu'à 660m d'altitude, extensibles jusqu'à 800m. À terme, jusqu'à 7.200 hectares de cultures pourraient être couvertes. Le réseau comprends un réservoir de stockage de 50.000m3au Bras de Mon Repos relié à une conduite principale de distribution qui longe la côte sur laquelle sont reliées 9 antennes de refoulement, des branches de distribution secondaires composées d'un réseau de réservoirs où l'eau est pompée jusqu'à 660m d'altitude.
Vue du réservoir de mon repos, dans la zone résidentielle du Bras de Mon Repos le long de la rivière Lolotte. On remarque en rouge la canalisation enterrée qui apporte l'eau depuis le cirque de Mafate.
Cette partie du chantier a commencé en 1995. Les 4 premières antennes, toutes situées sur la commune de Saint-Paul ont été achevées en 1998. L'antenne 4 a été mise en service en 1999. À cette époque l'eau n'était capté que depuis le cirque de Mafate. Il faudra attendre la complétion des autres captages pour mettre les autres antennes en service.
Captage des eaux à Mafate et Salazie
Le projet comprend quatre points de captage des eaux. Les deux premiers sont situés dans la rivière des Galets et le bras Sainte-Suzanne dans le cirque de Mafate. Cette rivière coule vers l'ouest, mais capter l'eau en amont permet de l'acheminer sur les zones à irriguer sans affecter la fourniture en eau du Port qui dépend de ce bassin et de sa nappe phréatique.
L'eau captée est acheminée au réservoir de Mon Repos par le transfert Mafate, une galerie de 3,75m de diamètre sur 8,8km de long complétée par une galerie plus courte, le transfert de Sainte-Suzanne de même diamètre et de 2,4km de long, connectant le captage du bras de Sainte-Suzanne au reste de l'ouvrage.
Deux autres captages sont effectués dans la rivière du Mât et la rivière des Fleurs Jaunes dans le cirque de Salazie. Ces rivières coulent verts le nord vers Saint-André et la partie au vent de l'île. Ce sont ces captages qui donnent au projet le nom de basculement des eaux. Les captages sont assurés par des barrages permettant de retenir l'eau dans des piscines artificielles semblables aux piscines naturelles des hautes qui font la joie des promeneurs. Une attention particulière a été portée à leur construction pour que les poissons frayeurs comme les bichiques puissent continuer à remonter le cours d'eau. La construction a aussi tenu compte des débits d'eau en période cyclonique pour que l'ouvrage n'augmente pas l'érosion du lit de la rivière.
Ouvrage d'art pour le captage sur la rivière des fleurs jaunes dans le cirque de Salazie. Photo: © Travaux n°822/09/2005.
L'eau est ensuite acheminée sur l'autre versant de la montagne par gravité grace à des galeries de plus de 30 km creusées dans la montagne. Trois bras de galeries, appelées transferts ont été excavées pour ce projet. Le transfert Mafate achevé en 1998, le transfert Salazie aval, creusée entre 1998 et 2006 de la rivière des pluies dans les hauts de Saint Denis au cirque de Mafate, puis le transfert Salazie amont creusé de 1999 à 2011 entre la rivière du Mât et la rivière des pluies. Ils sont complétés d'une galerie plus courte de 2,4km de long reliant le captage du bras de Sainte-Suzanne au reste de l'ouvrage.
La mise en service des deux derniers transferts a permis d'augmenter la capacité du projet d'irrigation et d'effectuer effectivement ce transfert des eaux de l'est vers l'ouest de l'île.
Les actes des journées de l'hydraulique de 2012 détaillent le projet de basculement des eaux dans l'article : Le transfert des eaux d’Est en Ouest à la Réunion : sécuriser l’avenir et favoriser le développement par l’aménagement hydraulique et la gestion globale de la ressource en eau.
Le département de la Réunion est donc satisfait d'avoir mené à bien ce grand projet d'irrigation qui s'est achevé en 2014 bien que certains ouvrages étaient déjà en service dès 1998. Une présentation de 2012 pour la société hydrotechnique de France indique qu'en 2011 le projet a permit l'irrigation de 4200 ha de terres agricoles et de sécuriser les besoins en eau de la zone ouest de l'île. Ceci a permis de consolider 700 exploitations agricole et de produire 130.000 tonnes de canne à sucre supplémentaire.
Les controverses
Beaucoup partagent cette satisfaction de réparer un peu la dissymétrie de la ressource en eau de l'île, mais des voix plus nuancées s'élèvent pour dire que ce projet a aussi des conséquences négatives pour le versant est de l'île. En effet, les prises d'eau dans les cirques réduisent le débit des rivières et modifient les équilibres naturels de l'île.
Certains comme David Lorion dans son ouvrage L’eau, pilier du développement durable en milieu insulaire que ce basculement des eaux ne résout rien et peut même aggraver les disparités actuelles. Enfin, en période de pénurie, les protestataires se font plus virulents en affirmant que ce projet ne vise qu'à prendre l'eau aux pauvres vivant dans les cirques pour la donner aux riches de Saint-Gilles.
Champs de canne à sucre à Saint-Leu.
De son côté, le département explique que les zones des communes de l'est, situées dans une zone à la pluviométrie abondante sont alimentées par de nombreuses autres sources et très peu dans les rivières où sont effectués les captages. De plus, une partie du débit de ces rivières reste réservée à la recharge de la nappe phréatique. C'est surtout le cas de la rivière des Galets, concernée par les troisièmes et quatrièmes captages qui alimentent la nappe phréatique cruciale pour les besoins en eau du Port.
Depuis plus de cinquante ans, la pluviométrie de la Réunion diminue à cause du réchauffement climatique et la distribution d'eau peut en être affectée. C'est surtout dans ces périodes de sécheresse que les critiques contre ce projet se font plus virulentes. Ainsi, en 2025, le président de la Cirest (communauté de communes de l'est), Patrice Selly, a demandé le 13 janvier dernier aux députés réunionnais l’ouverture d’une enquête parlementaire au sujet du transfert des eaux, afin de connaître son impact sur la distribution d’eau.
Un autre question va peut-être rester en suspend alors que le réchauffement climatique va rendre les précipitations de plus en plus rare dans cette partie de l'océan Indien. Ce chantier du siècle pourra-t-il continuer à rééquilibrer le déficit en eau d'un coté de l'île si la puviométrie est en baisse des deux cotés ?