Sécheresse à la Réunion de crise

2025
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En ce 5 février 2025, la Préfecture de la Réunion organise une réunion de crise pour évaluer la situation de sécheresse qui frappe l'île. Depuis six mois plusieurs communes de l'île subissent des coupures d'eau. Les précipitations sont rares et les réserves d'eau sont au plus bas. Les autorités appellent à la vigilance mais est-ce suffisant ?

Les situations de sécheresse ne sont pas rares à la Réunion, mais celle-ci est particulièrement sévère. Elle est d'autant plus exceptionnelle qu'elle se déroule durant la saison des pluies où l'eau est habituellement abondante, permettant de recharger les nappes phréatiques et les réserves pour la saison sèche.

Le comité sécheresse

Le comité départemental sécheresse est un regroupement d'experts qui, placés sous l'autorité du préfet, centralise les données hydriques, hydrologiques et hydrogéologiques actuelles pour en tirer des conclusions et le cas échéant préconiser des mesures pour éviter les feux de forêts ou les pénuries d'eau. Ce comité se réunit environ une fois par mois, mais ses rencontres les plus importantes sont celles d'avril où le comité fait le point sur les réserves d'eau accumulées pendant la saison des pluies afin de dire s'il est nécessaire de restreindre l'usage de l'eau pour tenir durant la saison sèche à venir.

À plusieurs reprises, le comité a recommandé des restrictions d'usage de l'eau pour éviter les pénuries. Ces restrictions peuvent aller de l'interdiction d'arroser les jardins, de remplir les piscines ou laver les voitures, mais elles peuvent aller jusqu'à des coupures d'eau nocturnes qui permettent de réalimenter les réserves sans trop impacter les usagers. Ainsi, en 2023, la préfecture a pris de telles mesures dans un nombre limité de communes.

Vue d'un bord de rivière montrant de gros galets secs au bord de l'eau. Ces galets présentent une grande surface blanche témoignant d'un niveau d'eau plus élevé par le passé
Image d'un reportage de la première sur les restrictions apiquées à Bras-Panon 2023. Le marques blanches sur les galets montrent le niveau habituellement plus élevé de l'eau de la rivière de Bras-Panon.

En effet, la saison des pluies 2022/2023 avait été fortement déficitaire en précipitations ce qui promettait d’importantes perturbations durant la saison sèche. Heureusement, l’arrivée précoce de la saison des pluies en novembre 2023 a permis de limiter les difficultés à quelques secteurs. Les difficultés d'approvisionnement en eau n'ont été ressenties qu'en octobre. L'épisode a néanmoins été suffisamment marquant pour laisser passer le message que l'eau est précieuse. La préfecture ayant appelé à rester vigilants et économes.

Les coupures d'eau

Économes, les habitants sont forcés de le devenir cette année. CISE, la compagnie de distribution d'eau a annoncé dès début janvier des coupures d'eau à Salazie et à Saint-André. L'office de l'eau de la Réunion, publie toutes les deux semaines une météo de l'eau sur l'île et les communes de Sainte-Marie, Le Port, Saint-André, Bras-Panon, Salazie et la Plaine des Palmistes sont toutes en situation de crise. Les coupures d'eau ont lieu la nuit (de 22h à 5h du matin) pour ne pas affecter les plus vulnérables, mais elles dégradent aussi la qualité de l'eau qui devient non potable au moment où elle est rétablie. Les habitants se tournent donc vers l'eau en bouteille pour boire et cuisiner ou vers une des rares citernes publiques quand elles sont mises en place.

Le site eaudurobinet.re a été mis en place par l'agence Régionale de Santé et les différents gestionnaires des réseaux d'eau pour informer les usagers sur la qualité de l'eau de chaque secteur de distribution et informer les usagers tout en partageant avec eux les bonnes pratiques, notamment les usages appropriés lors de la remise en eau. Cette agence annonce aussi les coupures d'eau sur son site.

Carte de la Réunion avec découpage des communes en noir et découpage de plus petites zones en bleu. Légende: bleu- distribution normale, violet: coupure de plus de 12h par jour, rose: coupures de moins de 12h par jour, gris: pas d'information. Au 06/02/2025 tous les zones sont en bleu
Fin janvier, le manque d'eau a contraint la CISE à couper l'eau en journée à Saint-André, avant de la rétablir quelques jours plus tard en maintenant les coupures nocturnes, cette fois à partir de 18h. Le 6 février la distribution est redevenue normale.

L'État à la rescousse

Face à cette situation de crise, l’État a envoyé 14 hommes de la brigade militaire de la sécurité civile pour assister les communes concernées. Ces derniers ont installé un système de désalinisation d'eau de mer qui peut fournir jusqu'à 50 m³ d'eau potable aux EPHAD et aux écoles grâce à des camions citernes lorsque l'eau est coupée. Personne ne sait si ce coûteux système d'urgence sera capable de faire face en cas d'aggravation de la situation.

Les habitants comme les autorités attendent la pluie, les yeux rivés sur les sites météo. Seul un événement de type cyclonique pourrait permettre d'espérer sortir de la crise et constituer assez de réserves avant la saison sèche. Météo France a annoncé de fortes pluies pour le 6 février, assorties d'un nouveau type de vigilance, adaptée à la saison cette fois, une vigilance jaune.

La typologie hydrologique de la Réunion

La Réunion est située au sud de l'équateur, dans l'océan Indien. Les saisons sont donc inversées par rapport à l'hémisphère nord. Elle est aussi située en zone tropicale à quelques encablures du tropique du Capricorne. Elle subit donc un climat tropical humide.

Trou de fer vu de l'air
Dépression du trou de fer située sur le flanc est du massif du piton des Neiges dans la partie au vent de l'île. Photo publiée par Jennifer.

La saison des pluies s'étend de novembre à avril et la saison sèche dure de mai à octobre. Les précipitations sont abondantes et régulières durant la saison des pluies qui est aussi la saison cyclonique. L'île présente aussi un relief élevé avec des sommets culminant à plus de 3000 mètres la divisant en deux parties : l'île au vent au nord-est recevant plus de précipitations et l'île sous le vent à l'ouest qui est plus sèche. De plus, les reliefs particulièrement accidentés de l'île favorisent la formation de microclimats et des phénomènes de foehn, vents chauds qui peuvent accentuer la sécheresse dans certaines régions, notamment dans les cirques.

Sécheresse en zone humide ?

La sécheresse de 2023 a principalement affecté des communes dans l'est de l'île comme celles de Saint-André et de Salazie, ce qui peut paraître paradoxal puisque situées au vent, elles reçoivent plus de précipitations.

Ce paradoxe s'explique facilement par le fait que ces communes sont justement assez arrosées pour ne pas nécessiter de grandes infrastructures d'approvisionnement en eau. Les réserves sont nombreuses et assez petites mais elles sont alimentées suffisamment régulièrement pour ne pas poser de problème en temps normal. Comme les besoins en eau augmentent et que les précipitations diminuent, il arrive un moment où les reserves s'épuisent. C'est encore plus vrai dans les communes des hauts comme Cilaos et Salazie qui sont alimentés par de nombreuses petites sources mais peuvent aussi subir des pénuries d'eau.

À l'inverse, les zones situées sous le vent ont depuis longtemps nécessité des prises d'eau en rivière, des pompages de nappe et des grands réservoirs pour l’irrigation des champs et l’alimentation de la population et des industries. Elles sont plus résilientes face au manque de pluie. Aujourd'hui, les hauteurs des communes de Saint-Paul à Saint-Leu sont irriguées par des canalisations apportant l'eau depuis le bassin hydraulique de la rivière du Mât sur l'autre versant du massif du Piton des Neiges. Ces grands travaux de transfert d'eau sont appelés basculement des eaux, mais dont le nom officiel est Irrigation du Littoral Ouest.

L'Irrigation du Littoral Ouest

Ce basculement des eaux est un projet comprenant un aqueduc remarquable qui traverse l'île de la Réunion d'est en ouest pour irriguer les terres agricoles de l'ouest à partir de prises d'eau de rivière dans les cirques de Mafate et de Salazie. Sa construction a commencé dans les années 80 et s'est achevée en 2014.

Vue d'une vallée avec rivière au lit de galets qui serpente dans le paysage brumeux montagneux.
La rivière du Mât et l'entrée du cirque de Salazie en arrière plan, une des rivière mise à contribution pour le basculement des eaux. Photo : TROTET

Le projet répond à un besoin identifié depuis des siècles d'irriguer des terres sèches, mais facilement cultivables parce que recevant beaucoup de soleil. Ce grand projet d'irrigation qui s'est achevé en 2014 apporte satisfaction mais des voix plus nuancées s'élèvent pour dire que ce projet a aussi des conséquences négatives pour le versant est de l'île. En période de pénurie, les protestataires se font plus virulents en affirmant que ce projet vole l'eau des gens plus pauvres qui vivent dans les hauts.

En savoir plus sur l'irrigation du littoral ouest.

Pour Zinfo974, la technicienne du département précise que si la sécheresse impacte des communes des hauts, réputées pour leurs multiples cours d'eau, comme Cilaos ou Salazie, c’est le signe que le problème relève principalement de la baisse de pluviométrie observée dans toute la Réunion depuis 50 ans et non au basculement.

Pas convaincu, le président de la Cirest (communauté de communes de l'est), Patrice Selly, a demandé le 13 janvier dernier aux députés réunionnais l’ouverture d’une enquête parlementaire au sujet du transfert des eaux, afin de connaître son impact sur la distribution d’eau. Cela répondra peut-être aussi à la question de la capacité de ce chantier du siècle à rééquilibrer le déficit en eau d'un coté de l'île si la puviométrie est en baisse des deux cotés.

Changement climatique et sécheresse

Comme le rappelle le site Cyclone OI, l'heure n'est plus à se demander si le changement climatique est une réalité, mais de savoir quel sera son impact. Pour la Réunion comme pour le reste de l'Océan indien le futur prévoit d'être plus chaud et plus sec.

Depuis plusieurs années, les pays de la zone sud-est de l'Océan Indien (SWIO) ont créé la commission Océan Indien pour partager, comprendre et agir sur le changement climatique dans leur région. Ils ont lancé le projet BRIO, (Building Resilience in Indian Ocean) pour répondre à la question de ce que pourrait être le climat dans la zone à l'horizon 2100. Les travaux se sont étalés sur quatre ans de 2018 à 2020 et ont produit une grande quantité de données et modèles climatiques. Le communiqué de la commission en PDF donnait des premiers résultats montrant un réchauffement de 3 à 5 °C à la fin du 21ᵉ siècle, dans l'ensemble de la zone, avec un réchauffement encore plus important sur le continent africain et Madagascar, une baisse significative des précipitations attendue sur toute la zone.

Vue d'une grande étendue de savane aux hautes herbes jaunes (Heteropogon contortus) ponctuée de petits arbustes secs dont deux au premier plan. La mer calme est visible l'horizon.
Photo de la savane, zone sèche, photographiée à Saint Paul en juin 2009 par franek2.

Marie-Dominique Leroux de Météo France a eu l'occasion de présenter les résultats du projet BRIO dans de nombreuses occasions et de façon plus détaillée que le premier communiqué de presse. Elle m'indique que le rapport final de 300 pages est disponible sur le portail HAL science ouverte et qu'un article a été publié dans la revue Climate services en 2024 et en anglais. Cet article met souvent en avant les résultats du projet BRIO pour la Réunion et confirme donc que les saisons sèches le seront encore plus, et aussi que le risque de cyclone intense est augmenté (ce qui est un autre sujet de préoccupation).

Météo n'est pas climat et il n'est pas exact d'affirmer que cette sécheresse de 2005 est causée par le réchauffement climatique. Néanmoins, ces études indiquent que ces phénomènes météo et cette sécheresse sont, et seront de moins en moins exceptionnels. Néanmoins, Cette sécheresse de 2025 promet d'être marquante parce que la pénurie d'eau arrive durant la saison des pluies. La saison cyclonique n'est certes pas terminée mais si aucun épisode pluvieux ne se produit, la situation pourrait devenir très critique. La Réunion ne semble pas prête à un tel scénario. Il serait temps qu'elle s'y prépare.

Des infrastructures pas au niveau

Un autre élément à prendre en compte lors de pénurie d'eau est la qualité des infrastructures de distribution d'eau potable et l'efficacité de son utilisation. Si les infrastructures sont vétustes et présentent des fuites, il faudra capter plus d'eau que nécessaire pour compenser les pertes. Or, comme le rappelle David Lorion dans son ouvrage L’eau, pilier du développement durable en milieu insulaire, les fuites dans le réseau de distribution sont un problème majeur, elles peuvent représenter jusqu'à 37 % de l'eau distribuée. Mais comme la pluie est abondante à l'est de l'île, entretenir le réseau de distribution n'est pas une priorité.

De plus, les communes ont un déficit d'infrastructures de traitement des eaux usées pour recycler l'eau. En 2008, 9 stations sur les 14 que comptent l’île ont un taux de saturation supérieur à 100 %. Les règlements européens a forcé les communes à investir dans des stations de traitement des eaux usées mais même en 2025 ces investissements restent insuffisants. Thomas Billebeaud, spécialiste de l’alimentation en eau potable explique à vert que les équipement de captage sont, eux aussi, déficitaires. Bref, D'importants travaux sont nécessaires. Ils sont hélas moins spectaculaires que le basculement alors ils sont encore trop souvent remis à plus tard.

Une ressource nouvelle : économiser l’eau

Ce titre extrait du livre de David Lorion est une autre évidence. La consommation d'eau par abonnement est deux fois plus élevée à la Réunion que la moyenne française. Certaines surconsommations peuvent s'expliquer par la chaleur ou par les fuites dans le réseau, mais les autorités sont persuadées que des sources d'économies existent aussi dans les usages chez les particuliers. Cela impliquerait la mise à jour de certains appareils, mais aussi des changements d'habitudes. Pour l'instant, les autorités se contentent d'appeler à la vigilance sans autres mesures, mais face à l'urgence, des incitations pourraient être bienvenues.

Les épisodes de sécheresse sont appelés à se reproduire plus souvent mais la bonne nouvelle c'est que la Réunion a la potentiel pour y faire face. De la mise à jour des infrastructures de captage et de distribution d'eau aux changements d'habitudes des habitants et des industries, il y a beaucoup de progrès à faire. Tout cela va couter de l'argent mais il faut se dire qu'en fin de compte, cela coutera moins cher que de mobiliser des brigades et des norias de camions citernes tous les ans.


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