Histoire de la musique réunionnaise

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Des chansons venues par bateau

1665 — 1750

Les premiers habitants sont des Français venus de Fort Dauphin à Madagascar, installés en 1665 sur l’île Bourbon avec quelques esclaves malgaches.

Ces quelques bancs vivant à Saint-Paul et Quartier-Français perpétuent les chansons et les danses métropolitaines avec les rares instruments embarqués sur les bateaux. Les nombreux navires mouillant régulièrement à la Réunion apportent des instruments souvent troqués par les musiciens du bord. Le violon et la flûte, facilement transportables, sont les premiers instruments utilisés sur l’île. Quelques années plus tard, on trouvera des fifres et des tambours.

Les chansons de marins et les chansons de métiers divertissent ces premiers habitants blancs. Des chansons de cabaret, très prisées en France dès le début du XVIIᵉ siècle sont importées à la Réunion, comme celle de P. Ballard « Recueil de chansons pour danser et pour boire » et de Huppe « concert des enfants de Bacchus » en 1627, renommé pour sa célèbre Adélaïde, qui sera plus tard créolisée.

Les danses, sont très variées : la guédenne, la pastourelle, le menuet, la polka, la pavane, les rondes et rigaudons sont joués et dansés sans déformation, ni adaptation, pendant plusieurs décennies.

Les esclaves, principalement malgaches, puis indiens et enfin africains sont eux aussi venus avec leurs propres traditions, leur propre culture et donc leur propre musique. Il est beaucoup plus difficile de définir quelle était leur musique de l’époque car celle-ci n’est pas écrite et les témoignages de cette époque sont quasiment inexistants.

…des jeux d’argent ou à des beuveries mais il ne nous est resté aucun récit de fête, les habitants de Bourbon devaient bien pourtant faire des banquets ou danser à l’occasion des mariages et des grandes fêtes religieuses…
Mémorial de la Réunion – Daniel Vaxelaire

Les origines du maloya

Le maloya date de cette époque. Cette forme d’expression à la fois instrumentale, vocale et dansée est un produit multiculturel né dans les camps d’esclaves, par un mélange entre les populations malgaches et mozambicaines, nouvellement débarquées.

Certains camps d’esclaves vivaient loin des habitations des blancs parce qu’ils travaillaient dans des zones plus difficiles à vivre comme à Saint-Louis. Ceci leur laissait suffisamment de liberté pour pouvoir faire proliférer leur culture notamment leurs fêtes et leurs musiques. Les Mozambicains et les Malgaches en profitent pour procéder à divers échanges culturels notamment musicaux.

De nombreux personnage noirs, les esclaves, sont en train de bouger dans la nuit à la lumière d’un feu et au son de tambours dont un tonneau transformé en tambour. Un personnage en costume africain dance au centre avec une femme.
La danse des cafres, gravure publié dans l’Album de l’île de la Réunion par Antoine Roussin.
doc : Archives Départementales

L’entrée en vigueur du Code noir en 1723 va durcir la vie des esclaves et c’est surement après cela que le maloya se teinte d’une expression de complainte à l’image du blues en Amérique du Nord.

Bernardin de Saint- Pierre, l’auteur de Paul et Virginie qui passa trois ans aux Mascareignes, a décrit en 1773 les instruments employés pour ce qu’il appelait la danse madécasses (malgache) : Le bobre et une calebasse remplie de pois. Le bobre, originaire de Madagascar est toujours présent et la calebasse sera plus tard remplacée par le kayamb, tous deux instruments de musique du maloya actuel.

D’ailleurs à l’époque cette musique ne s’appelait pas maloya. L’origine du mot est bien plus récente. Elle vient d’un écrit du chanteur réunionnais Georges Fourcade en 1930. Vers 1750, il était appelé, Tchéga, Tsiega puis Séga, mot portugais d’origine swahili désignant l’action de remonter ses habits, caractéristique des danses bantoues.

l’influence indienne

Selon Kalidas, musicien indien ayant vécu dans la province de Majunga à Madagascar, il faudrait cependant remonter plus loin dans le temps pour saisir véritablement la genèse du Maloya. Il en souligne les origines indiennes notamment par le chant. Au Gujerat, état de l’Inde qui commerce avec Madagascar depuis le XVIème siècle, des sortes de troubadours chantaient des chants à la gloire de Dieu, réunion des cinq éléments : les Bhajan". Ils sont accompagnés par des tambourins à deux côtés les Pakhavaj, des cymbales en laiton et le Ravanhato, sorte de cithare à une seule corde. Certains Malgaches ont participé à ces fêtes et ils ont réussi à reproduire ces chants chez eux. Ils ont ensuite exporté cette musique à l’île de la Réunion et dans tout l’océan Indien, à Maurice, à Rodrigues et dans les Seychelles. Cependant, cette forme de chant à plusieurs voix existe aussi en Afrique.

l’influence africaine

Depuis plusieurs siècles, sur la côte Est de l’Afrique, les habitants se divertissent par des danses bantoues au rythme d’instruments tels que le houleur, roulèr en réunionnais, le timba. Le roulèr est un gros tambour sur lequel le joueur s’assied pour y jouer et qui donne la base rhythmique du maloya. Le timba peut-être une sorte de xylophone en bambou parfois des tambourins montés sur un cadre qu’on appelle piqueurs ou pikèr, formant ainsi un ensemble appelé sombrér.

Ces Africains, les cafres, envoyés de force dans les colonies françaises de l’Océan Indien (Bourbon, Maurice, Rodrigues et les Seychelles), ont importé avec eux leur culture et leurs instruments de musique. Les cafres, compagnons de misère des Malgaches, se sont donc rencontrés dans es camps d’esclaves au début du XVIIIᵉ siècle. Là, s’est opérée cette genèse du maloya, synthèse des cultures afro-malgaches. Des témoignages précisent que le maloya était joué dans ces camps toute la nuit du samedi et se prolongeait parfois le dimanche après-midi.

Les différences de tempo ou de tonalité du chant permet aux exécutants d’exprimer différents sentiments. Car, en plus, d’une peinture de la vie quotidienne de ces esclaves, le maloya représente aussi l’ivresse amoureuse, accentuée par une danse particulière d’origine bantoue… : sur une musique au tempo rapide, les danseurs forment un cercle dans lequel une femme danse et choisit son cavalier, qui la rejoint à l’intérieur de ce cercle. La parade amoureuse débute, sans aucun contact physique entre les deux danseurs, avec la possibilité toutefois de changer de cavalier, s’il ne convient pas à la danseuse. Puis les poses sont de plus en plus lascives et se terminent par un crescendo quasi lubrique, expression corporelle des sentiments naturels.

Une autre facette importante du maloya est l’hommage rituel aux ancêtres : le servis kabaré. Il s’agit d’une forme de maloya, jouée plus lentement, dont le chant monotone, sorte de litanie, est interprété dans le cadre de funérailles. La musique sert ainsi de support de communication avec les morts.

l’influence malgache

Madagascar, terre d’un patrimoine culturel très riche a exporté à la Réunion un autre style de musique traditionnel : le musicien chante de façon psalmodiée en s’accompagnant d’un instrument à cordes pincées appelé valiha. Ce style typiquement malgache sera pratiqué et conservé en milieu malgache jusqu’à la fin du XIX siècle.

Carte postale ancienne montrant une femme accroupie jouant du valiha.
Femme accroupie jouant du valiha

La créolisation de la musique réunionnaise

1750 — 1880

À partir du milieu du XVIIIᵉ siècle, des changements commencent à apparaître. Par un mouvement à la fois d’adaptation et d’échanges culturels, la musique opère de nombreuses mutations.

Côté européen, les chansons de marins et de métiers vont rapidement tomber en désuétude à cause de la dominante rurale et non maritime de l’île et l’acclimatation des travaux d’artisanat au contexte tropical.

C’est après la Révolution française qu’apparaissent les romances, ces chansons sentimentales, en français, qu’on retrouve parfois sur les disques de comptines pour enfants. Ces airs très populaires en France viennent directement des guinguettes de la Seine ou des caveaux montmartrois. Ils arrivent sur l’île et sont adoptées dans un premier temps, par la classe blanche dirigeante. Elles sont ensuite transmises au reste de la population par tradition orale, largement déformées du fait de l’analphabétisme des autres classes et conservées par la société savante dans les « cahiers de romances ».

À cette époque aussi, les romances de mariage acquièrent leurs lettres de noblesse auprès de la population, comme la célèbre « Marche des mariés », qui a survécu jusqu’aujourd’hui sous une forme instrumentale. Les danses régionales sont remplacées par celles pratiquées à la cour de Louis XV. La ronde, élément important du fond populaire local, est la forme de distraction la plus prisée par les jeunes créoles, à partir du début du XIXᵉ siècle.

Une foule se presse sur une place devant une grande villa donnant sur la mer. Au centre des esclaves nouvellement affranchis célèbrent leur liberté avec chants musique et danses. Autour les blancs en tenues bourgeoises discutent et assistent au spectacle. À gauche, les hommes en costume et haut-de-forme, à droite les femmes et leurs grandes robes.
La danse des noirs sur la place du gouvernement le 20 décembre 1848, gravure publié dans l’Album de l’île de la Réunion par Antoine Roussin.

Naissance du séga

Dès le Second Empire, au milieu du XIXᵉ siècle, d’autres danses font leur apparition : le quadrille d’origine anglaise, le scottish, la polka, la mazurka, auxquelles succèdent des danses de groupe comme « la poule » avant de se terminer par des figures libres. Cet espace de liberté à été capital dans la naissance du séga.

Au milieu du XIXᵉ siècle, la prospérité économique de l’île a permis l’organisation de manifestations culturelles retentissantes, qui ont assuré une certaine pérennité à ces musiques. La riche société consacre, en effet, plus de temps aux loisirs. La diffusion du quadrille est ainsi facilitée et le besoin de musiciens s’accroît. Pour remplir ce besoin, des musiciens noirs sont initiés à ces musiques. On les appelle les jouars. De part leur appartenance à une autre culture, ils ont volontairement ou involontairement modifié ces airs, surtout au niveau rythmique, débutant la créolisation du quadrille.

Quatre jeunes gens à la mode romantique dansent le quadrille
Quatre jeunes gens à la mode romantique montrent la figure de la trénis. Gravure anonyme issue du Bon Genre (1805).

Ayant appris à jouer sur des instruments européens comme le piano, ils utilisent la dernière partie du quadrille pour improviser et jouer la musique qu’ils connaissent, la leur. Ils transposent le maloya sur ces instruments européens en y adaptant des airs de quadrille. Le rythme, la conjugaison des rythmes européens et africains, légèrement accéléré, est associé à une mélodie joyeuse de tonalité majeure. De plus, ces airs s’adjoignent des refrains souvent grivois et ce style nouveau remporte rapidement un vif succès. De même la danse, mélange de polka et de maloya policé ajoute de l’intérêt pour ce nouveau style : le « quadrille créole » qui deviendra le séga, du nom que portait le maloya à l’époque.

Rapidement, toutes les figures du quadrille vont être complètement colonisées par le séga. Vu l’importance du phénomène, le séga est largement diffusé et s’échappe des salons pour être dansés partout. Parallèlement, les musiciens qui n’ont pas accès à ces salons, n’hésitent pas caricaturer ces airs de quadrille sur une rythmique de maloya : de cette imitation déformée naît une autre forme de séga, moins « décent » aux yeux de la bonne société.

La pratique du valiha dans la musique malgache disparaît à la fin de ce siècle, compte tenu de la diminution de l’immigration malgache.

Suite à l’abolition de l’esclavage, le maloya qui est lié à la condition d’esclave est lui aussi délaissé par ceux qui l’ont fait naitre. En revanche, les engagés, dont les conditions de vie sont proches de celle des esclaves et des anciens esclaves, vont à leur tour apprendre et jouer du maloya, par désir d’intégration. Ce phénomène est essentiel dans la conservation et l’évolution du maloya.

Procession d’Indiens en costumes. À l’avant les joueurs de tambours et à l’arrière des danseurs déguisés en tigre s’avancent sur le chemin bordé de cannes à sucre, objet du travail des engagés.
Fête des travailleurs Indiens, dessin de LÉON A. pour l’Album de l’île de la Réunion par Antoine Roussin. Conservé au musée Léon-Dierx.

Période contemporaine

DE 1880 A NOS JOURS

La période contemporaine est très riche à la Réunion et les évolutions politiques et socio-économiques ont une influence croisée sur la vie culturelle dont la musique assure une grande part. Les transformations s’opèrent encore aujourd’hui.

Dans la continuité des chansons de métiers et des fêtes communautaires, Mc Auliffe rapporte en 1902 l’existence de chansons de travail et les décrit ainsi : « Ce sont des chants bizarres, moitié malgache, moitié créole ». Il s’agit en fait de chansons de portage, héritées des premiers porteurs malgaches de Cilaos, transmises de génération en génération.

C’est la peinture de la misère de la vie bourbonnaise, brossée avec humour, sur une musique gaillarde de séga.

Si le séga connaît ses plus belles heures de gloire à la fin du XIXᵉ siècle, un nouveau genre, typiquement réunionnais, voit le jour. Il s’agit de la « variété créole ». Les premiers bardes réunionnais comme Guény, Legras, Duclos, Fossy, Volcy, Focard écrivent en créole sur des airs de séga. Leurs œuvres régionalisantes sont acceptées comme étant une représentation parfaite du sentiment musical et poétique de tout un peuple. Georges Fourcade figure de proue de ce style, le définit ainsi : « C’est la peinture de la misère de la vie bourbonnaise, brossée avec humour, sur une musique gaillarde de séga ». Ces créations créoles connaissent un immense succès qui perdure.

Montage avec une photo du folkloriste réunionnais Georges Fourcade une guitare à la main et la partition de sa chanson à succès Petite fleur fanée.
Georges Fourcade et la partition de sa chanson à succès « Petite fleur fanée ».

À la même époque peut-être de façon plus marginale, la chanson se politise avec des chanteurs comme Marius et Ary Leblond qui chantent en créole des critiques acerbes, sur des airs métropolitains, des airs de séga et même de cantiques religieux. Dans la même veine, mais moins contestataire, les chants patriotiques font leur entrée à la Réunion avec la grande guerre de 1914-1918. Les chansons de poilus sont intégrées et adaptées au répertoire créole de l’île.

Une autre forme musicale fait son entrée avec l’apparition du cinéma dans l’île : l’accompagnement des films muets se fait au piano, parfois accompagné d’un banjo ou d’un accordéon. Les scènes d’amour se déroulent sur fond de valse, les scènes de courses sur une polka et celles de bagarres sur un séga.

Le gramophone

Le progrès amène une nouvelle invention : gramophone débarque à la Réunion vers 1930 et facilite la diffusion de nouvelles musiques.

Cette innovation va affaiblir les musiques traditionnelles. Antérieurement, les nouveautés étaient introduites par les musiciens eux-mêmes qui les intégraient aux musiques déjà existantes et faisaient ainsi perdurer leurs traditions. À partir de 1930, les nouveaux airs rivalisent directement les uns avec les autres, les nouvelles chansons chassent les anciennes, les vieilles danses sont remplacées par d’autres. Le quadrille américain apparaît dans l’île puis les danses plus osées comme le tango ou la java où le cavalier enlace sa cavalière qui conquièrent le public, faisant disparaître les évolutions compliquées du quadrille.

Un autre effet de l’arrivée des gramophones est le désintérêt pour les jouars. Sans travail suffisant, les musiciens rejoignent le milieu plus modeste des petits blancs des hauts de l’île.

Les instruments de musique aussi se renouvellent. De nouveaux instruments remplacent les anciens. L’accordéon chromatique supplante le râlé pousssé diatonique. Arrive aussi la clarinette, la guitare, le saxophone et d’autres cuivres. Ces orchestres de musique instrumentale modernes, jouent ainsi du jazz et les nouvelles musiques de ce début de siècle.

Le maloya qui connaissait un regain d’énergie grâce aux engagés indiens et à l’apparition d’un nouvel instrument, le kayamb vers 1870, va décroître jusqu’à disparaître totalement autour de 1930. L’arc musical malgache, le bobre, aux vertus prétendument magiques s’utilise encore mais de plus en plus rarement.

Carte postale ancienne avec un joueur de bobre et un danseur sous des bananiers. Légende: Île de la Réunion: joueur de bobre
Joueur de bobre

Après la seconde Guerre Mondiale, le séga conserve un vif succès dans la population locale, mais il est surtout préservé pour son attrait exotique qui intéresse les touristes. La culture est surtout portée par les tenants de l’alignement culturel intégral sur la métropole.

Un renouveau des musiques traditionnelles

L’ancien caractère populaire du maloya n’a pas échappé au Parti Communiste Réunionnais qui tente avec succès de le relancer à grande échelle à partir de 1960 en mettant en avant ses idées autonomistes et la résistance à l’uniformisation dictée par la métropole. La musique de race devient une musique de classe.

Avec ce retour, la musique se modifie : les textes se politisent et deviennent de véritables supports de la revendication sociale, parfois autonomistes ; au point que le maloya sera quasiment interdit pendant une quinzaine d’années. Puis, le maloya se simplifie et la danse devient accessoire. Firmin Viry, Gramoun Lélé et plus tard, le Rwa Kaf et Ramouche sont issus de cette mouvance qui s’oppose radicalement à toute métropolisation des modèles musicaux et revendique une identité culturelle créole. Ils servent encore de modèles aux artistes d’aujourd’hui. À cette époque aujourd’hui mythique les artistes contestataires, à peine tolérés par le pouvoir en place, jouent gratuitement et se cotisent pour produire leurs disques, publier leurs textes et même organiser le premier festival créole.

Des troupes folkloriques réagissent et se remettent à jouer le maloya traditionnel et les styles d’antan, dépouillés de toute allusion politique, enrichissent la musique avec une chorégraphie d’ensemble et une recherche de costumes traditionnels ; qu’il s’agisse de Bernadette Ladauge ou de Jacqueline Farreyrol, leur volonté est de renouer avec l’esprit, les textes et la musique du folklore réunionnais.

Électrisation

Les instruments électriques arrivent à la Réunion vers 1975. À cette époque, le paysage musical est surtout marqué par l’apparition de formations de blues et d’orchestre de bal-accordéon. Certains comme Luc Donat, René Lacaille, A. Peters, Zoun, Carrousel ou F. Barret proposent une fusion personnelle tantôt teintée de jazz, de rock ou de folk. On nommera ce nouveau style maloya électrique.

Dans ces années là, les concerts sont rares. Ces musiciens se produisent plutôt dans les kabars, fêtes gratuites, le plus souvent en plein air, qui rassemblent plusieurs centaines de personnes.

Le sega suit cette mouvance d’électrisation aussi et des chanteurs comme Max Lauret, J.P. Boyer ou M. Admette jouent depuis les années 1975 dans la tradition des grands ségatiers de la belle époque de plus en plus accompagné de synthétiseurs et de guitares électriques.

La musique et les textes n’étaient pas gratuits à cette époque. Ils étaient sous-tendus par une prise de conscience par les Réunionnais de leur condition socio-culturelle
Gilbert Pounia, leader de Ziskakan

À la fin de la décennie 70, la position culturelle de la métropole à l’égard de la Réunion n’a pas changé et dès lors, d’autres groupes de maloya électrique et traditionnel voient le jour comme Ziskakan, Flamboyant (dont Danyel Waro est issu), Zélindor ou Cimendef. Leur souci principal est la revendication d’une identité culturelle réunionnaise qui passe notamment par la valorisation de la langue créole, à travers des textes de qualité. Ces groupes collaborent avec des écrivains et des poètes tels que A. Armand, S. Andoche, Carpanin-Marimoutou, P. Treuthard, B. Payet et Axel Gauvin.

il faut redonner du rêve, de la volonté, susciter des réponses par une vision positive car, bien plus qu’en métropole, les musiciens ont à assumer leur grand rôle social à la Réunion
Gilbert Pounia, leader de Ziskakan

Le travail et la détermination de ces groupes a largement contribué à élargir la scène musicale locale. De fait, on assiste depuis la fin des années 80 à une véritable inflation de formations en tous genres dont on peut citer Ti Fock puis Baster arrivant au milieu des années 80. De plus, on assiste à l’introduction de musiques comme le jazz, le reggae, la pop, le rock et le rap, que l’on marie tant bien que mal avec les sonorités locales.

Côté jazz, des musiciens comme F. Barret, Sabouk, Teddy Baptiste, Trio tambour se démarquent par la grande qualité de leurs productions. Coté Reggae, en 1986, Racine Tatane, groupe mauricien, invente avec succès le seggae (séga/reggae). D’autres groupes mélangeant aussi maloya et reggae (le malogué) : Na Essayé, Progression et P. Persée trouvent un large écho dans la population locale.

Nouvelles fusions

Les années 90 vont être l’occasion de nouvelles fusion entre les musiques traditionnelles avec la pop rock, le rap ou le raggamuffin mais aussi avec le sallegh, sorte de séga malgache, tandis que d’autres groupes exhument des musiques que l’on croyait à jamais défuntes (quadrille, polka…), d’autres transmettent des styles traditionnels (séga, maloya) et d’autres encore tentent de créer, à partir de ces racines, une voie personnelle : c’est le cas de Ziskakan et Ti-Fock dont la réputation a atteint un niveau international.

Mais cette émergence de la musique locale reste malgré tout un phénomène récent, datant des années 80, et se révèle encore fragile. Le marché local demeure restreint et l’intérêt de la métropole pour les musiques réunionnaises reste faible, même s’il progresse un peu. Les échanges avec les autres îles de l’océan Indien existent car elles ont culturellement proche, mais chacune garde sa spécificité. Le Séga de Rodrigues par exemple est plus rapide qu’à la Réunion.

Depuis octobre 2009, le maloya est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. À l’aulne de cette reconnaissance internationale, les musiques locales réunionnaises transmettent, au-delà de leurs notes, leurs mélodies et leurs rythmes, une émotion, une ambiance qui traduit le caractère si particulier de l’île : calme et pudeur à l’extérieur, bouillonnements à l’intérieur, dont les mouvements profonds et lancinants sont envoûtants, sulfureux et parfois explosifs… à l’image de son volcan.

Enfin la reconnaissance Internationale ne signifie pas que la musique réunionnaise est adoptée largement comme peuvent l’être d’autres musiques venant des caraïbes ou d’Afrique de l’ouest. Le sega réunionnais a été inscrit au patrimoine immatériel de la France en 2020 mais presque aucune musique n’a été produite depuis le début du millénaire.

Page inspiré d’un texte de Xavier Filliol écrit en collaboration avec Gilbert Pounia, Fred Borne, Kalidas, Danyel Waro et Jean-Pierre La Selve.