Le projet BRIO

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Avec les autres pays de la zone sud-est de l'Océan Indien, la Réunion a créé la commission Océan Indien pour partager, comprendre et agir sur le changement climatique dans cette zone géographique. Cette commission a géré le projet BRIO (pour « Building Resilience in the Indian Ocean ») de 2018 à 2022, mené scientifiquement par Météo-France sur un budget de l’Agence Française de Développement. Les conclusions de ce projet ont été publié dans un rapport publié en 2023.

Le projet BRIO visait à fournir aux pays membres de la Commission Océan Indien des simulations climatiques régionales avec une haute résolution. Elle a dû développer des modèles climatiques locaux et agréger de nombreuses données qui ont été mises à disposition sur le portail régional dédié ( climat.coi-ioc.org ). Le projet comprenait aussi la formation d'experts dans l'ensemble des pays de la zone : Madagascar, France (Réunion et Mayotte), Maurice, Seychelles et Comores, à l'exploitation des jeux de données issues du projet pour l'ensemble des zones habitées de la région.

Les scénarios du GIEC

le 5ème rapport du GIEC paru en 2014, qui introduit une nouvelle méthode de modélisation climatique en ne retenant que quatre trajectoires d’émission et de concentrations de gaz à effet de serre, d’ozone et d’aérosols, ainsi que d’occupation des sols baptisés “Profils représentatifs d’évolution de concentration” ou RCP en anglais pour « Representative Concentration Pathways ». Ce sont ces 4 scénarios qui ont étés utilisés dans le cadre du projet BRIO.

Les modèles de simulation

Pour réaliser ses modèles régionaux, l'équipe du projet a d’abord effectué des simulations sur le modèle régional de climat français ALADIN couplées aux sorties du modèle de climat global français nommé CNRM-ESM2-1.

Les données globales disponibles sur la région ont une trop faible résolution pour que la simulation soit réaliste notamment sur certains phénomènes comme les précipitations qui peuvent être affectés par les reliefs ou d'autres perturbations locales. Il a donc fallu corriger les biais produits par ce modèle avec des relevés effectués sur la zone pendant les années 1981 à 2010. Les résultats sont ensuite comparés avec des outils de simulation globaux pour s'assurer que le modèle régional reste cohérent dans les données d'ensemble.

Deux cartes de Madacascar cote `cote, celle de gauche avec des gros carrés de couleur, cette de droite avec des petits carrés de couleur laissant voir des zones de précipitation correctes
Différences entre le modèle global et le modèle régional sur l'île de Madagascar. FIGURE 3.7 du rapport – Orographie (relief en m) de Madagascar dans les modèles (a) CNRM-ESM2-1 et (b) ALADIN

Le rapport scientifique

Pour les plus curieux, vous pourrez lire ce rapport complet qui fait quand même 300 pages, et qui présente de manière bien plus détaillée la source des données, les modèles évoqués ci-dessus, les descentes d’échelle et la correction des biais ainsi que les outils numériques et statistiques utilisés pour cette étude régionale.

Il expose ensuite les différentes projections obtenues chacun des trois scénarios d’émission de gaz à effet de serre (SSP pour « Shared Socio-economic Pathways ») parmi ceux que le GIEC a retenu : Le SSP1- 2.6 correspond à l'objectif de la COP 21 de Paris avec fortes réductions d’émission de gaz à effet de serre de 43% d'ici à 2030 et une neutralité carbone d'ici la fin du siècle. Le SSP5-8.5 est un scénario optimiste ou l'humanité poursuit son développement mais sans réduire sa consommation d'énergie fossile. Le scénario SSP2-4.5 est un scénario intermédiaire. Les projections sont présentées pour ces 3 scénarios sur la période 2015-2100.

Enfin, il présente les premiers services climatiques, utilisateurs des données de BRIO dans le but d’aider les pays dans la gestion des ressources en eau et des problèmes de santé et d’informer sur l’évolution des évènements extrêmes tels que les cyclones tropicaux. Deux études d'impact ferment ce rapport, une étude agricole sur la culture de la canne à sucre et une étude sur les effets du changement climatique sur la propagation du virus de la dengue (le projet MACATIA).

Premières conclusions

Pendant la sécheresse de janvier 2025, j'ai cité le rapport du projet BRIO pour résumer les changements climatiques attendu à la Réunion et sa région pour les années à venir. On pourrait le résumer en « climat pareil, mais en pire ». La zone sera globalement plus sèche à la saison sèche avec des endroits ou le manque d'eau deviendra critique. Les cyclones devrait être violents ce qui m'a fait mettre à jour mon article sur les cyclones et le changement climatique où je parlais de ce risque jusqu'à présent très prudemment.

Pour être plus exhaustifs, projections du rapport concernant la Réunion sont les suivants:

Les températures moyennes seront plus chaudes

Selon les scénarios les températures moyennes gagneront entre 1° et 3,5° d'ici la fin du siècle. C'est moins que les études climatiques globales parce que l'île profite de l'inertie thermique de l'Océan Indien.

Graphique montrant 3 courbes de températures, la rouge montre presque 4° de plus en 2100, la bleue 1° de plus en 2100 et la verte est entre les deux.
Extrait de la FIGURE 6.64 du rapport – Evolution temporelle sur la période 1981-2100 des anomalies de température moyenne annuelle à +2 m (en ◦C par rapport à la période 1981-2010) sur La Réunion (55.5◦E - 21.0◦S) selon 22 modèles globaux de CMIP6 dont CNRM-ESM2-1 dans 3 scénarios et selon le modèle régional ALADIN (traits continus).

Les alizés seront plus vigoureux

Tous les scénarios prévoient un renforcement plus ou moins important, de l’anticyclone des Mascareignes au sud de la Réunion. Ceci causera une accélération des alizés surtout en hiver.

Des pluies moins abondantes

À l'horizon 2080 les projections montrent un assèchement d'entre 5 % et 10 % des pluies annuelles. La saison sèche devrait connaitre une baisse des précipitations dans tous les scénarios ainsi qu'un allongement avec l'arrivée tardive de la saison des pluies. La partie sous le vent de l'île sera la plus touchée par ce changement.

Infographie montrant toutes les îles habitées du sud ouest de l'Océan Indien avec des trois chiffres de % de précipitation (souvent en moins) pour quelques lieux choisis.
FIGURE 8.2 du rapport – Infographie synthétisant l’évolution des précipitations annuelles moyennes, en % par rapport à la normale 1981-2010, attendues en milieu et fin de siècle sur l’ensemble des pays de la COI pour 3 niveaux de réchauffement planétaire, selon le modèle régional ALADIN. Les incertitudes issues de l’ensemble CMIP6 sont indiquées par les panaches de couleur du graphique en bas à gauche, pour chaque scénario SSP.

Des cyclones plus intenses

L'activité cyclonique ne devrait pas être plus marquée et le nombre de systèmes, tempêtes, fortes tempêtes et cyclones, ne devraient pas être plus nombreux mais quand ils se produiront, ils seront plus intenses. Cela signifie des vents plus forts et une houle plus grosse. Il est aussi probable qu'on observe la poursuite de la migration vers le sud du maximum d'intensité cyclonique.

Carte de l'Océan Indien centrée sur madagascar montrant une zone avec de nombreuses courbes orange et rouges.
FIGURE 2.20 du rapport – Trajectoires des systèmes tropicaux du bassin SOOI ayant atteint le seuil minimal de tempête tropicale sur la période 1986-2018. Les données sont issues de la Best track. Les tempêtes sont en orange, les cyclones en rouge, et les cyclones intenses et très intenses en pourpre. Un rond jaune matérialise le début de chaque trajectoire référencée.

La poursuite de l'élévation du niveau de la mer

On a constaté sur la zone de la COI, une élévation moyenne de 5 mm/an en moyenne ce qui est bien plus important que les 3.7 mm/an relevés globalement. Mine de rien cela fait 14cm sur les 30 dernières années. Ces données sont difficiles à extrapoler dans les projections à cause d’effets de seuils en lien avec la fonte des calottes glaciaires.

Présentation au public

Les résultats du projet BRIO sont accessibles en ligne sur le portail dédié climat.coi-ioc.org qui est utilisé par les spécialistes et climatologues de tous les pays de la région. Mais sans communication supplémentaire, ces travaux pourraient passer inaperçus. C'est pourquoi la Commission de l'Océan Indien essaye de communiquer sur le sujet par des infographies qui circulent sur les îles.

Marie Dominique Leroux est responsable de la division Etude et Climatologie à Meteo France et a mené les études du projet BRIO. On retrouve son nom sur les articles ( ici en anglais ) et les rapports en lien avec le projet mais aussi dans des médias plus généralistes.

On la retrouve tout naturellement en train de présenter ces travaux devant les spécialistes locaux. Ces présentations sont reprises sur la chaine de Meteo France dans deux vidéos (ici et ) que je vous recommande. Cela peut vous aider à prendre connaissance du projet BRIO en quelques minutes.

La climatologue a aussi participé à une capsule partagée sur les réseaux sociaux de Kult media.